La Réforme juste,
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Autres textes :Le Manifeste Pourquoi le social-libéralisme ? |
C’est l’indignation devant les intolérables inégalités et les injustices qui a constitué, dès le XIXème siècle, le socle fondateur, le ciment de la gauche. Ces injustices n’ont pas disparues et si elles se sont transformées elles ne rendent ni moins légitime ni moins nécessaire la poursuite de ce combat pour la justice et pour l’émancipation. C’était bien la libération de l’individu, son émancipation, qui fondaient les premiers combats du socialisme et, plus largement, de la gauche. Aujourd’hui encore c’est sa liberté, condition de sa dignité, de son autonomie et de son épanouissement qui demeure notre objectif prioritaire. Nous voulons retrouver l’inspiration libérale du socialisme des origines. C’est un courant profond, un refus de laisser des organisations toutes-puissantes, étatiques, économiques ou religieuses écraser l’individu, ses droits, sa vie et ses espoirs. C’est cette volonté d’émanciper l’individu de ces machines broyeuses d’humanité qui ont connu des sommets au XX° siècle, avec le nazisme et le stalinisme, pensées du refus de l’individualité, qui reste un des moteurs des mouvements populaires aujourd’hui. Qui ne voit que c’est cette reconquête de la liberté individuelle, de l’autonomie, qui fait du projet de la gauche, avant tout, un humanisme.
Oui, l’autonomie entraîne la concurrence, qui peut être la meilleure ou la pire des choses. La pire quand, non régulée, elle contrarie les démarches de solidarité et permet au plus fort d’imposer sa loi. Mais elle peut être la meilleure aussi car elle est nécessaire au dynamisme de nos sociétés, tandis que son absence conduit à une société figée, dans laquelle il est impossible de remettre en cause les situations dominantes. Au lieu, comme le souhaite la gauche traditionnelle, de renoncer, le plus souvent, aux avantages de la concurrence pour éviter les risques qu’elle induit, nous voulons en permettre l’exercice dans des conditions qui la font aller de pair avec la justice. La liberté ne peut se concevoir sans règles et les lois destinées à assurer la libre concurrence, sont des exigences qui permettent à la liberté de fonctionner de manière efficace et équitable.
Il existe aujourd’hui un fort besoin de sécurité que la liberté peut sembler menacer. Tout en sachant que le risque est inhérent à notre société, à nous de comprendre de quoi est fait ce besoin et de chercher à y répondre sans abandonner le recours à la liberté.
Parce que toute action présente un risque, toute initiative un danger d’échec, on aura souvent tendance à sacrifier liberté et initiatives au profit d’une prudence conduisant à l’immobilisme et au repli sur soi. Alors on encadrera toutes les activités, quitte à les étouffer, on regardera avec méfiance les entrepreneurs, on favorisera des emplois publics à vie quand rien ne les justifie, on interdira tous les Organismes Génétiquement Modifiés, on refusera toute réforme. Pour nous, la sécurité ne doit pas limiter la liberté mais en être une condition, être moins un lourd bouclier qu’un filet de sécurité qui rattrape en cas de chute, qui garantit en cas d’échec et qui pousse à l’action puisqu’elle peut corriger les conséquences néfastes éventuellement engendrées par la liberté. Auxiliaire de la liberté, la sécurité permet l’exercice complet de la responsabilité, elle en est une des conditions. Le « principe de précaution » n’est pas un prétexte pour renoncer à vivre et regarder vers l’avenir.
Nous voulons, en conciliant le désir de liberté et le besoin de sécurité dans un monde changeant, encourager l’initiative au lieu de la freiner. Et cela d’autant plus que nous avons la certitude qu’un grand projet collectif ne peut se bâtir sans l’autonomie des acteurs, sans leur capacité d’initiative source de dynamisme, leur concurrence source d’efficacité et leur libre collaboration condition de la solidarité. Ce sont bien la liberté de la personne, la responsabilité partagée, l’engagement individuel et collectif qui ouvrent la voie au progrès et à de nouvelles formes de justice sociale.
- Permettre à chacun d’être libre, c’est lui permettre d’exprimer son potentiel, d’influer sur son destin, d‘entreprendre. C’est la possibilité d’agir dans et sur une société qui doit lui en donner la faculté et les moyens concrets. Notre conception de la liberté ne se résume pas à une liberté de droits, mais c’est celle d’une liberté concrète. Ce n’est pas celle du « laisser faire » c’est celle du « pouvoir faire ». C’est la liberté réelle donnée à chacun d’exercer sa responsabilité.
La liberté et la responsabilité sont le moteur de l’action, et favoriser la mise en œuvre de la responsabilité permet de donner à la société vitalité et dynamisme. C’est l’ignorance de ce principe qui a maintenu nos sociétés dans un immobilisme où certains ont vu une cause de déclin. Une société où personne n’est incité à assumer ses responsabilités ne peut progresser. Ce n’est pas en enserrant l’individu dans des réglementations et des prescriptions, en l’assistant ou en le protégeant du réel en toutes circonstances que l’on favorisera le dynamisme social et le progrès, pas davantage le lien social ou la solidarité, mais bien en développant son autonomie et ses capacités d’initiative, en lui donnant l’ambition et les moyens d’agir, de vivre pleinement l’aventure humaine.
L’exigence de liberté individuelle et de responsabilité, entraîne la reconnaissance du même droit pour autrui ce qui induit refus des discriminations, démocratie, et pour tout dire égalité ou équité. Il est vain d’opposer l’exigence de liberté à celle d’égalité. Donner toute sa place à la liberté, interdit d’en refuser l’exercice à d’autres. Vouloir la liberté, c’est la vouloir pour tous, ce qui passe par la recherche de l’égalité, ou, selon la belle expression de Monique Canto-Sperber, par la construction de « libertés égales ».
Certes, l’égalité absolue de situation est impossible, mais cette constatation ne contredit pas notre volonté de voir se réduire les inégalités, car autant une société de « l’égalité parfaite » serait une société immobile et déjà « morte », autant les inégalités excessives déchirent les sociétés et peuvent les faire mourir. Si toute inégalité n’est pas forcément une injustice, la suppression des inégalités injustifiées et la réduction des inégalités excessives constituent des exigences. Nous refusons la persistance des inégalités entre les hommes et les femmes, celles s’appuyant sur une origine sociale ou ethnique, celles liées à une orientation sexuelle ou une façon de vivre sa vie privée, celles encore résultant d’un statut ou d’une situation privilégiée prédéterminée. Nous refusons les inégalités héritées. Nous refusons l’idée d’inégalités dont on ne pourrait pas sortir. L’égalité à laquelle nous aspirons, au-delà de l’égalité de droits, est l’égalité des chances ou, mieux, celle qu’ Eric Maurin appelle « l’égalité des possibles ». C’est la possibilité, quelle que soit sa situation, son handicap ou son origine, de s’insérer dans la vie sociale ou professionnelle, d’accéder aux biens collectifs - éducation, culture, emploi, santé - et de pouvoir en tirer un même profit. C’est l’égalité dans les opportunités offertes à chacun d’utiliser au mieux sa capacité d’autonomie, ses talents et sa volonté.
De même que notre « liberté pour agir » dépasse la liberté formelle, notre conception de l’égalité nous sépare de l’égalité globale et de principe qui anime nombre de politiques sociales traditionnelles. Est-ce l’égalité que de vouloir la même école et les mêmes moyens pour tous, alors que l’on sait que les possesseurs d’un patrimoine culturel et vivant dans un environnement privilégié seront ainsi avantagés ? Est-ce égalitaire de laisser chaque individu dans la même situation face à l’emploi quand un jeune d’origine immigrée a trois fois moins de chances d’être embauché qu’un Français « de souche » ? Est-ce égalitaire d’attribuer, pour aider à élever leurs enfants, davantage aux familles aisées qu’aux familles défavorisées, avec des allocations familiales également réparties, ajoutées à un quotient familial qui avantage les plus hauts revenus? N’est-il pas plus conforme au désir d’égalité, de construire des dispositifs qui aident vraiment certains individus à combler leur retard ? L’égalité formelle – facilement baptisée républicaine – pensée à travers le prisme de l’uniformité, est en elle même porteuse d’inégalités et vouloir traiter de la même manière des situations différentes est porteur d’injustice. On ne peut poser le principe d’égalité en faisant comme si il n’y avait pas de différences au départ entre les individus, et que tous, passant dans le même moule, devaient en retirer le même profit. Quand une inégalité existe à l’origine, l’égalité de traitement est une manière de prolonger cette inégalité, alors qu’une forme d’inégalité compensatrice peut l’atténuer. Il faut donner plus à ceux qui partent avec moins si l’on veut que tous aient des chances comparables de réussite et d’épanouissement. C’est le moyen de lutter contre l’exclusion sociale. C’est aussi la juste signification de la solidarité et la condition réelle de sa mise en oeuvre.
Notre vision est celle d’un humanisme qui, refusant les discriminations de toutes sortes et faisant appel à la responsabilité de chacun, ouvre un large champ d’autonomie et d’épanouissement personnel, d’initiatives sociales et d’actions solidaires. Elle exprime une confiance dans l’homme et dans la société.
Nous voulons une politique adaptée à la société complexe d’aujourd’hui, attentive aux situations et aux devenirs individuels, ouverte aux initiatives, favorisant la cohésion sociale, plus soucieuse d’incitation que de volonté dirigiste. Une politique, et une méthode, réformistes, que nous mettrons en œuvre en sachant que toute réforme, même attendue, ne sera tolérée que si elle résulte d’un débat démocratique, mise en perspective, suffisamment expliquée pour en faire comprendre l’utilité, et si les efforts demandés apparaissent justement répartis. Notre société a besoin de la réforme mais elle ressent d’abord le besoin de la justice.
Les citoyens, qui sont conscients que des transformations sont nécessaires, craignent l’insécurité qu’elles peuvent entraîner lorsque rien n’est fait pour les informer de ce qu’ils peuvent en attendre. Ils se replient sur l’existant – même peu satisfaisant – lorsqu’ils ignorent ce que leur apportera le changement. L’atomisation, l’apathie, qui « plombent » notre pays ne trouveront de remède que dans l’affirmation d’une ambition collective capable, parce qu’elle sera comprise, de rassembler les intelligences et les énergies. C’est lorsqu’on ne propose aucune perspective que se développe la crispation sur ce qui paraît acquis, c’est lorsqu’ils peuvent adhérer à une vision de l’avenir et partager une espérance, que les peuples s’impliquent et deviennent moteurs. Celui qui attend trop souvent qu’on le prenne en charge et qui réagit par la récrimination et la revendication, retrouvera le désir de construire parce qu’il en attendra son développement et son épanouissement. L’acceptation des efforts qui accompagnent toute transformation, l’énergie nécessaire à la construction de l’avenir ne seront possibles que si un projet est proposé, une voie indiquée, un débat ouvert pour la choisir, des moyens fournis pour s’y engager. C’est ainsi que pourra se bâtir cette société, libérale et solidaire, rendant chacun conscient de ce que peut lui apporter l’avenir et, en conséquence, désireux et capable de devenir l’acteur responsable du changement. Une société de justice, de droits et de devoirs partagés, dans laquelle les destins ne se construisent plus de manière irréversible, mais où chacun d’où qu’il vienne, quels que soient son parcours et ses choix puisse se dire qu’il a sa chance, sa chance de réussir sa vie professionnelle et sociale, sa chance de vivre pleinement sa vie d’homme ou de femme.
C’est pour notre société le moyen de répondre aux dangers de délitement, de résignation ou de violence qui la menacent. Chacun doit retrouver confiance en l’avenir, avoir le sentiment que la société le reconnaît, pourra valoriser son travail, récompenser ses efforts et ses talents, et si l’échec survenait, lui apporter son secours pour une nouvelle chance. C’est la condition de l’amélioration du sort de chacun, tout autant que celle du dynamisme social et du progrès collectif. C’est vouloir, à la fois, l’expression des libertés et l’exigence de justice.
Cette vision sera un objectif mais aussi un moteur car c’est pour s’en approcher que chacun trouvera la volonté de s’engager. Nous avons l’ambition de contribuer à donner forme à cette société dynamique et solidaire, qui aura retrouvé à la fois une espérance et une volonté d’agir, un but et des moyens d’y parvenir. Une liberté et une responsabilité.
La crise que nous allons vivre dans les mois et les années qui viennent, loin d’être le moment d’un repli, doit être le moment de s’élancer vers l’avenir, de le construire sur ces bases renouvelées.
> La suite du texte d'orientation : Notre projet