Publiée en page 18 du journal Le Monde daté du 29 juin 2010, je livre à la méditation des adhérents de LGM une tribune remarquable signée par Hubert Védrine titrée France-Allemagne, le malaise. Voici une contribution qui contraste par sa lucidité avec bon nombre de commentaires commis par ces héros interchangeables de la pensée unique, que l’on trouve évidemment dans les rangs de ce qui nous tient lieu d’opposition mais aussi hélas dans ceux de la majorité.
Hubert Védrine a l’immense avantage de ne pas chercher à subordonner les engagements européens de la France aux chimères d’un fédéralisme dépassé.
Le réalisme dont il se prévaut en sa qualité de fin connaisseur des relations internationale vaut aussi pour l’Europe où les intérêts nationaux autant que les trajectoires économiques sont marqués par de fortes divergences que la monnaie unique n’a décidément pas transcendées.
Hubert Védrine a raison d’inciter les gouvernements de la zone a refuser l’incroyable prétention de la Commission à ce que lui soit fournie les projets de budgets avant même un premier vote par les parlements. Ce saut absurde dans un fédéralisme technocratique s’arrogeant les prérogatives d’un pouvoir discrétionnaire non élu, serait ressenti par les peuples comme un affront fait à la souveraineté, une rupture de l’Europe avec les principes démocratiques tels qu’ils vivent dans l’espace des nations. Il en résulterait un rejet des peuples à l’égard de l’Europe, ce serait une régression pour tous les esprits raisonnables -qu’ils aient approuvé ou rejeté la ratification des traités européens soumis à référendum- qui ne veulent pas faire la politique du pire, surtout dans un contexte si périlleux.
Védrine préfère la coordination des politiques économiques à un fédéralisme dogmatique, c’est la voix de la raison à laquelle nous ne pouvons que souscrire, qui permettrait de construire un véritable espace public européen et de bâtir des convergences à chaque fois que c’est possible, plutôt que les décréter de manière autoritaire ou administrative.
Si les mots ont un sens la gouvernance économique de la zone euro ne saurait se réduire à cette interprétation disciplinaire et répressive fondée de surcroît sur une interprétation fétichiste de critères invoqués avec un dogmatisme arrogeant. Il faut tendre à une résorption de l’ensemble des dettes privées et publiques dans un délai raisonnable et ne pas utiliser des thérapies et un calendrier de choc qui risqueraient de tuer le malade.
Hubert Védrine en vient à examiner -sans user du moulin à prières et des précautions oratoires habituellement invoquées quant à la nécessité d’affermir et de pérenniser l’amitié franco-allemande- la question allemande sans germanophobie, mais sans angélisme telle qu’elle se pose aujourd’hui. Cette amitié n’est pas une sainte relique c’est un support politique essentiel qu’il convient de doter d’un contenu, et l’union n’a jamais cessé d’être un combat !
Ce n’est évidemment pas le fait que l’Allemagne soit motivée par son intérêt national qui constitue l’enjeu du malaise actuel, mais plutôt l’extraordinaire autisme qui inspire la politique d’austérité décidée outre Rhin, sans concertation aucune avec ses partenaires. C’est également le fait que l’Allemagne ait concédé une gouvernance économique à 27 quand elle la refuse toujours au seize de la zone euro, alors que le besoin s’en fait cruellement sentir.
Cette attitude solitaire et un rien suffisante de l’Allemagne a pesé très négativement sur le déroulement du récent G20. La décision unilatérale de l’Allemagne de mettre en œuvre un plan d’austérité « hard » a été critiquée à juste titre par le Président Obama et l’économiste Paul Krugman.
Védrine a raison de plaider ici pour un rééquilibrage des rapports de force afin de parvenir à un assainissement des finances publiques de la zone euro compatibles avec les exigences de croissance, ce qui suppose que l’on ne plaque pas absurdement le modèle de stabilité allemand si corrélé à l’histoire germanique (l’hyperinflation de l’entre-deux guerres) sur une Europe du réel qui est marquée par de fortes hétérogénéités.
S’il faut penser la tension dialectique entre croissance et lutte contre les déficits, alors nous avons le devoir de rester fermes sur nos principes au sens où la recherche d’un assainissement budgétaire doit demeurer compatible avec la recherche d’une croissance qui fait cruellement défaut, d’une politique industrielle que nous ne croyons pas devoir jeter au grenier des archaïsmes, de la recherche et du développement qui justifient des dépenses d’avenir. Et Védrine d’en appeler à une grande remise à plat, à l’organisation d’un débat de qualité sur le budget, la monnaie, la fiscalité, puis sur les politiques communes d’abord avec nos amis allemands, puis ensuite avec l’ensemble de nos partenaires. C’est dire, qu’il convient de tuer dans l’œuf toute velléité d’ouvrir un débat de plus sur les questions institutionnelles, l’heure n’est plus à colloquer sur les traités, cette méthode ayant largement montré ses limites. .
L’article d’Hubert Védrine nous semble arriver à point nommé et apporter un peu de hauteur au débat d’idées, avec pragmatisme et sans céder à des réflexes partisans.
Le sommet du G20 réuni à Toronto du 25 au 27 juin en effet, n’est point parvenu à accoucher d’un accord susceptible de créer les conditions d’une vraie clarification que les peuples sont en droit d’attendre. Les questions de régulation du libre-échange par l’introduction de certaines digues, de la réglementation du système bancaire et financier, de la taxation sur les transactions financières, de la remise à plat du système monétaire ne sont pas résolues. Les conclusions du sommet ressemblent à l’une de ces improbables motions de synthèse dont le PS a le secret : « Nous devons laisser agir jusqu’au bout nos plans de relance budgétaires pour consolider la reprise » indique le G20 dans son communiqué final. Mais de préciser un peu plus loin : « Des ajustements simultanés dans les plus grands pays risquent de compromettre la reprise », à la demande des grands pays émergents craignant l’évaporation de leurs débouchés européens.
Enfin, les tenants de la rigueur, Allemagne en tête mais suivi de très près par Cameron ont réussi à imposer un amendement qui inscrit dans le même marbre les politiques d’austérité, à l’instar du pacte de stabilité européen : « Des finances publiques solides sont essentielles pour soutenir la reprise, donner des marges de manœuvre en cas d’un nouveau choc et éviter de laisser aux générations futures un héritage de déficits et de dettes ». A l’évidence ce patchwork polyphonique (voire polysémique) ne constitue en rien une feuille de route cohérente pour résoudre efficacement cette première crise de la mondialisation financière.
Le prochain G20 aura lieu en 2011 à Paris, c’est une échéance très importante. Il n’y a pas de temps à perdre pour clarifier notre orientation. La France peut décemment reprendre à son compte les réserves formulées par les américains et les canadiens inquiets de voir la cure d’assainissement budgétaire en vogue chez certains dirigeants européens effacer tout espoir de croissance et ralentir dangereusement une reprise mondiale encore ténue.
La Gauche Moderne doit prendre toute sa place dans la majorité pour que la France soit à la hauteur de cette échéance et qu’elle puisse concrétiser les engagements de Nicolas Sarkozy, qui résultaient d’une analyse lucide de la crise financière.
Certaines voix au sein de la majorité –sans parler des silences assourdissants de la direction socialiste- semblent plaider pour une adaptation et une imitation du modèle allemand incarné par Madame Merkel. L’amitié si elle doit faire valoir nos convergences et nos ressemblances ne signifie pas le nivellement de nos différences. Je suis convaincu que cette adhésion suiviste à l’égard d’un modèle allemand mythifié n’est ni une chance pour la France ni pour la majorité, alors que se profile l’échéance des élections présidentielles. Il faut fixer un cap clair pour l’Europe et pour l’avenir des peuples. Pourquoi ce modèle social français dont on nous a dit qu’il avait octroyé une meilleure protection au pays dans le feu de la crise que les Etats assujettis au modèle anglo-saxon devrait être à présent décrié et disqualifié au nom de cette phobie centrée sur les seuls déficits publics. Pourquoi une telle amnésie et une telle inconséquence, alors que le nuage toxique des dettes privées espagnoles pèse comme une bombe à retardement sur le bilan des banques françaises et allemandes ?
Choisir cette voie du conformisme moutonnier, c’est au fond avouer la fragilité et préconiser la subordination des Etats souverains à l’égard du capitalisme financier. Pourtant, n’est-ce pas le Président de la république qui a plaidé pour une vraie régulation d’un système bancaire et financier erratique et générateur de bulles que seule la puissance publique a pu enrayer. Ce transfert des dettes privées vers l’Etat justifierait-il que ce dernier soit à présent l’otage des agences de notation et des marchés financiers ? Sont-ce les pyromanes d’hier qui devraient fixer la ligne de conduite des Etats aujourd’hui en leur administrant de surcroît des leçons de vertu et de saine gestion ? On croit rêver en constatant que les mêmes esprits qui n’avaient rien vu venir alors que les prémisses de la crise de l’endettement privée étaient analysés depuis longtemps par les économistes les plus lucides, prennent pour argent comptant l’argumentation pavlovienne des opérateurs de marché. Cette voie est absurde économiquement et elle creuserait les inégalités au risque de plonger le pays dans la désunion, et le chaos social.
C’est vouer la zone euro à une déformation durable du partage de la valeur ajoutée au détriment du monde du travail, c’est condamner les salariés au gel ou à la baisse de leurs revenus.
Ce ne peut être la voie préconisée par l’aile gauche de la majorité. Ce n’est pas l’intérêt du peuple français, cela ne va pas dans le sens de son avenir, puisqu’il faut en effet se soucier du monde que nous laisserons aux générations futures. Il est pour cela nécessaire de croire en notre singularité nationale, sans arrogance, car nous n’avons pas la volonté de l’imposer à nos partenaires, mais sans abaissement car nous avons un rôle à jouer sur le continent, sans rien renier de notre engagement européen, mais sans transiger sur les valeurs qui constituent notre identité nationale.
Gérard Delahaye