En France l’on considère que la laïcité, est une condition de la liberté.

La laïcité, une exception française.

Il y difficulté réelle à faire coexister deux principes : la liberté de conscience et de pratique religieuses d’une part, la laïcité d’autre part. Quand le catholicisme était la seule religion vraiment puissante et installée, la séparation d’avec le pouvoir politique était chose simple et claire. La diversité religieuse de la France moderne rend l’exercice plus difficile, car la séparation y est parfois perçue comme une infraction à la liberté religieuse.


La laïcité, une exception française

La laïcité est, en France, étroitement liée au nom d’Aristide Briand et à la loi de 1905 sur la séparation de l’église et de l’Etat. Mais le combat pour la laïcité est beaucoup plus ancien. La Renaissance y a apporté sa contribution ; la philosophie des Lumières, au XVIIIe siècle, aussi, et la Révolution française, bien évidemment. La Restauration ne fut d’ailleurs pas seulement une réaction politique contre la Révolution et Napoléon ; elle fut aussi une réaction religieuse, une réunion du pouvoir politique et de la religion catholique.

On ne peut comprendre la durée, l’ampleur et la difficulté du combat laïc si l’on oublie les origines fort anciennes de la confusion entre la politique et la religion. C’est Constantin qui, le premier, lors du concile de Nicée, se proclama « empereur et docteur, roi et prêtre ». Cette confusion était à l’époque une commodité, sinon une nécessité politique : pour maintenir l’unité d’un empire toujours menacé d’éclatement par des forces centrifuges, Constantin avait besoin des évêques, et il lui fallait aussi composer avec les barbares déjà massivement christianisés. Mais depuis lors et jusqu’aujourd’hui, en occident, tous les pouvoirs, sauf en France, mêlent la politique et religion. Le cas le plus connu et le plus patent est celui de la Grande Bretagne, où le chef de l’Etat est aussi le chef de l’Eglise. On évoque volontiers la grande libéralité de ce pays parce que, en plein milieu du XIXe siècle, on pouvait y nommer un Premier ministre juif. On oublie que Disraeli, malgré son nom, n’était pas juif mais chrétien, dûment baptisé. Et il n’est pas indifférent de noter que, tout récemment, Tony Blair ait cru devoir attendre de n’être plus Premier ministre pour se convertir au catholicisme. Aux Etats-Unis, le Président prête serment sur la Bible, ancien et nouveau Testaments réunis. Et si un juif ou un athée était élu ? Devrait-il se parjurer ? En Allemagne, récemment, les sociaux-démocrates ont ouvert le débat sur cette question du serment sur la Bible, là aussi imposé au chef de l’Etat. On a finalement décidé de n’y rien changer.

En France, l’on considère que la laïcité, c’est-à-dire la séparation du pouvoir temporel et du pouvoir spirituel, est une condition de la liberté. Du simple citoyen au Président de la République, chacun est libre de choisir sa croyance ou sa non-croyance, sans que l’Etat n’ait rien à y voir ni à y dire. Et ce n’est pas un hasard si la France a été le premier pays européen à instaurer l’égalité civique entre les chrétiens et les juifs, dès 1790, malgré l’anti-judaïsme proclamé par l’Eglise catholique, alors encore très puissante.

Evidemment, c’est à l’école que la question de la laïcité a été le plus vivement débattue, bien avant la loi de séparation, dans les débuts de la IIIe République. C’est qu’alors les jésuites avaient un mot d’ordre : « Mihi animas, tibi caetera ! » (à moi les âmes, à toi le reste !). Et l’école sans Dieu fut longtemps, pour beaucoup de Français, une contradiction dans les termes. Le débat public qui s’est ouvert dans les années 1980 à propos du voile islamique et de tout signe ostentatoire d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires, heureusement conclu pas la loi, et les hésitations qu’on a observées chez maints de nos compatriotes non musulmans, portent la marque de cet état d’esprit.

Ce fait d’une actualité récente montre que la laïcité reste, aujourd’hui encore, un combat (pacifique, évidemment). Pour l’islam, qui a toujours lié, dans son surgissement même, la religion et le pouvoir politique, c’est une difficulté réelle d’en admettre la séparation. Tous les Etats de la Ligue arabe ont très naturellement inscrit dans leur constitution la religion musulmane comme religion d’Etat. Pour le catholicisme, et quoique la confusion du religieux et du temporel n’ait strictement rien à voir avec le Nouveau Testament, l’habitude si ancienne de la confusion – et aussi les avantages qu’en a tirés, à l’occasion, l’Eglise catholique – ont laissé des traces. Quand Edouard Herriot, à la tête du cartel des gauches, en 1924, a voulu, en application de son programme électoral, étendre à l’Alsace et à la Moselle le bénéfice de la loi de 1905, il a dû y renoncer, face à l’opposition catégorique de l’église catholique et de sa presse, alors influente. La question fut de nouveau posée après la deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, personne n’y songerait, même parmi ceux qui considèrent la loi de 1905 comme intouchable !

C’est qu’en fait il y difficulté réelle à faire coexister deux principes : la liberté de conscience et de pratique religieuses d’une part, la laïcité d’autre part. Quand le catholicisme était, sinon l’unique religion, du moins la seule vraiment puissante et installée, la séparation d’avec le pouvoir politique était chose simple et claire. La diversité religieuse de la France moderne rend l’exercice plus difficile, car la séparation y est parfois perçue comme une infraction à la liberté religieuse. C’est au nom de la liberté que l’on réclame le respect des interdits alimentaires dans les institutions publiques ou celui de telle ou telle prescription vestimentaire. Les pratiques, fort différentes des nôtres, qui se sont imposées à cet égard en Grande Bretagne ou aux Etats-Unis, lesquels, sans se réclamer de la laïcité, font néanmoins toute sa place au principe du « secularism », paraissent à beaucoup plus respectueuses des libertés individuelles. Quand on considère l’extension permanente de l’influence anglo-saxonne dans le monde, il n’est pas si sûr que l’exception française soit indéfiniment sauvegardée.

Philippe Barret,
Inspecteur général de l’éducation nationale,
11 avril 2010.


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